Histoire
Depuis de nombreux siècles déjà, l’homme utilise les boyaux naturels. Lorsqu’un animal était tué, on ne consommait pas uniquement sa viande. Les conditions de vie souvent pauvres contraignaient les gens à utiliser toutes les parties de l’animal. Tout d’abord, les boyaux naturels ont servi de cordes pour les instruments de musique. Les exhumations de vieux tombeaux de rois sumériens ont permis de découvrir des harpes sculptées avec art, garnies de cordes en boyaux. Dans les armées antiques déjà, les estomacs de mouton et de bœuf étaient recherchés: en effet, les soldats d’élite du roi perse Cyrus s’en servaient comme bouées, qu’ils gonflaient avant la traversée d’un fleuve. Si le commerce des boyaux naturels n’avait pas existé, cette armée relativement grande aurait difficilement pu être équipée, en l’an 547 avant Jésus-Christ!
Durant les nombreuses années qu’ont duré leurs aventures sur la Méditerranée, les légendaires guerriers de l’Odyssée avaient, à l’époque déjà, emporté des morceaux de viande coupés menu, qu’ils conservaient enrobés dans du boyau de chèvre. Les Romains, quant à eux, n’ont cessé de développer de nouvelles voies commerciales dans leur empire. Des épices orientales ont été importées, permettant ainsi de créer de nouveaux mets – ce qui a favorisé le développement d’une grande diversité de saucisses. L’art de la fabrication des saucisses a survécu à la chute de l’Empire romain et a été perfectionné en permanence durant le Moyen Âge. Lors de manifestations festives, des saucisses mesurant jusqu’à 600 mètres de longueur ont été portées dans des processions solennelles. En croissance constante, les besoins des fabricants de saucisses peinaient à être satisfaits. Les rois et les princes de l’Église considéraient le saucisson comme une spécialité. Inutile de dire qu’il jouissait également d’une grande cote auprès du peuple. Celui qui maîtrisait l’art de la fabrication des saucisses était totalement indépendant du boucher, dont les connaissances se limitaient à l’abattage des animaux et au découpage de la viande.
Les boyaux salés sont devenus une marchandise commerciale importante dans tout le sud et le centre de l’Europe. Dans les grandes civilisations chinoises, le commerce des boyaux naturels était déjà très répandu. En Chine, l’élevage des porcs a laissé des preuves jusqu’à l’époque néolithique et des présences de sel au sol ont permis de faire le rapprochement entre conservation des boyaux de porc récupérés et sel. Ce n’était donc qu’une question de temps jusqu’à ce que, via la Route de la soie, les boyaux de Chine prennent aussi le chemin de l’Europe. À cette époque-là, toutes les cultures avaient en commun, le fait que les boyaux des animaux abattus à cet effet, servaient à la fabrication de saucisses.
Avec la révolution industrielle, beaucoup de gens ont quitté leur environnement paysan et se sont installés dans les villes, afin d’y trouver un logement et un travail. La population s’est accrue, nécessitant davantage de nourriture – et aussi davantage de viande. Le simple ouvrier pouvait à peine s’offrir de la viande et de la saucisse, mais la classe supérieure grandissante en demandait de plus en plus. L’augmentation de la consommation de saucisses a fait exploser la demande de boyaux. Au point que les boyaux naturels produits en Europe centrale n’étaient plus en mesure de couvrir les besoins.
Pourtant, la boyauderie moderne a été inventée aux Etats-Unis d’Amérique. Alors qu’en Europe, les abattages se déroulaient généralement dans des entreprises artisanales ou carrément dans les fermes d’élevage, aux USA, les abattoirs industriels se sont développés au début du 19e siècle. Cincinnati et Chicago sont devenus les centres de l’industrie américaine de la viande. Vers 1860, des wagons de chemin de fer frigorifiques ont été mis en service pour la première fois, ce qui a, une fois encore, révolutionné la branche de la viande.
Les fermiers devaient payer pour l’abattage de leurs animaux. Très souvent, les entreprises d’abattage conservaient les boyaux comme partie intégrante de leur rémunération. Ainsi, les boyaux de porc, principalement, sont devenus une marchandise commerciale importante. La première pierre du commerce moderne des boyaux était posée. Dans nombre d’abattoirs, des départements séparés dédiés aux boyaux ont été créés, qui s’occupaient de la récupération, du nettoyage et du commerce des boyaux naturels. Très souvent, la valorisation optimale des sous-produits a été décisive pour le bénéfice ou la perte, chez le gros boucher. À un moment donné, quelques commerçants européens se sont fait envoyer, par des membres de leur famille, des boyaux d’Amérique, faisant naître un petit commerce de boyaux naturels en Europe, adapté aux conditions de l’époque.
En 1875, de la viande a été exportée pour la première fois d’Australie, au moyen de machines frigorifiques. Puis, des grands pays d’élevage de bétail, tels que les USA ou l’Argentine, ont suivi. Les boyaux naturels produits là-bas ont alors, eux aussi, été sujets à une demande croissante. Les boyaux de bœuf salés, qui à cette époque-là provenaient en majorité d’abattoirs nord-américains, étaient salés sur leur lieu d’origine, après avoir été nettoyés. Sans aucun autre traitement, on les emballait dans des fûts et on les préparait pour l’exportation. À l’époque, il n’était pas encore question de calibrage par qualités ou de détermination des diamètres.
Jusque-là, les boyaux destinés au marché européen – le plus souvent des boyaux de bœuf – étaient collectés en Russie et en Orient limitrophe et séchés pour la conservation, en vue d‘être ensuite vendus en Suisse également. Dès le milieu du 19e siècle, des marchands helvétiques ont colporté de boucherie en boucherie, au moyen d’un char et d’un cheval, pour écouler ces boyaux de bœuf généralement séchés. Le boyau de bœuf séché a été utilisé pendant longtemps encore pour certaines spécialités et n’a disparu du marché que ces dernières années. De nos jours, pratiquement tous les boyaux naturels se négocient sous forme salée. La boyauderie les prépare et les conditionne de façon individuelle. Elle les coupe aussi aux mesures désirées par les clients.
Au milieu des années soixante, les achats de boyaux de bœuf et de porc se sont déplacés des USA vers l’Amérique du Sud et la République populaire de Chine, principalement. À partir de ce moment-là, les marchés d’approvisionnement, comme ceux de vente, se sont développés de façon très dynamique. Le marché mondial des boyaux s’est adapté à l’évolution des conditions. L’Europe et le monde ont grandi simultanément et il est devenu de plus en plus important d’être informé sur les développements dans les autres pays. C’est la raison pour laquelle, en 1973, l’association helvétique a rejoint l’ENSCA (European Natural Sausage Casing Association), une fédération des associations européennes. Au niveau mondial, les plus importants marchands de boyaux naturels se retrouvent au sein de l’INSCA (International Natural Sausage Casing Association). Sur la planète entière, des lois, des ordonnances et des dispositions vétérinaires sont adaptées quotidiennement et il est primordial pour la branche que ces deux fédérations faîtières suivent
Aux débuts du commerce des boyaux, les boyaux naturels étaient achetés à des paysans et à des commerçants locaux – sans autre préparation – à des fins de revente aux boucheries. Dès le départ, la conservation s’est révélée être un problème. Pour conserver des boyaux naturels, la façon la plus simple, la moins coûteuse et la meilleure est de les mettre en saumure. Dans les régions où le sel n’existait pas ou était trop cher, les boyaux étaient séchés, puis protégés contre les parasites au moyen de poivre. De nos jours, les boyaux naturels sont récupérés dans des abattoirs modernes, où ils subissent un salage et sont conditionnés dans des fûts en plastique, puis livrés par containers dans les entreprises de calibrage, les boyauderies. Dans ces entreprises, les boyaux sont triés par calibre (diamètre) et par qualités.
Pour les boyaux de bœuf, le diamètre est déterminé en y insufflant de l’air, tandis que les boyaux de mouton et de porc sont remplis d’eau. Grâce au remplissage d’air ou d’eau, l’entreprise de tri peut simuler la pression de remplissage à la fabrication de saucisses. De cette façon, le professionnel peut déterminer le calibre et, simultanément, constater les défauts de qualité.
Après achèvement de ces travaux, les boyaux naturels sont mesurés, désignés en fonction de leur qualité et de leur calibre, puis salés une fois encore. Contrairement au passé, où l’on utilisait des fûts en bois, les boyaux sont maintenant conditionnés dans des fûts en plastique et acheminés par voie maritime, dans des containers, vers l’Europe ou l’Amérique.
Max Ramp AG, «couturier» de saucisses depuis 1907, prend réception du fret maritime à Rotterdam, Hambourg ou Anvers et transporte la précieuse marchandise, de façon écologique, par train ou par bateau sur le Rhin, jusqu’en Suisse, où elle sera stockée. Après le contrôle de qualité d’entrée, elle attendra ensuite d’être utilisée comme pelure à saucisse.